lundi 13 juillet 2009

Camille Flammarion

Voici une lettre absolument pathétique de Camille Flammarion (1842-1925) à Urbain Le Verrier, son boss, au moment où ce dernier venait de le mettre à la porte... A cette époque, Camille Flammarion est un tout jeune assistant (ou plutôt un stagiaire dévolu aux tâches les plus ingrates) et Le Verrier est le prestigieux directeur de l'Observatoire de Paris (et découvreur de la planète Neptune). Camille a 21 ans et nous sommes en 1863 (je crois, d'après mes calculs, la photo à droite montre un Flammarion encore plus jeune que ça).
"Monsieur le directeur,
Je viens reconnaître mes torts et la négligence que j'ai apporté depuis quelque temps dans les travaux de l'Observatoire, et vous prier de vouloir bien prendre en considération les motifs qui me portent à vous adresser cette demande et la promesse que je vous fait ici d'être désormais sérieux et attaché à mes occupations. Je tenais à me faire à l'avenir une position à l'Observatoire, voilà pourquoi je me suis occupé d'autres travaux d'Astronomie que ceux qui m'y sont donnés et quelquefois dans le temps consacré à ceux-ci, sans réfléchir que je perdais réellement mon temps pour l'Observatoire et pour moi. Si d'un autre côté, mon travail et en particulier la correction des épreuves, sur laquelle Monsieur Servet n'avait jamais eu un reproche à me faire, a paru se ressentir ces jours derniers d'une négligence impardonnable, permettez-moi, Monsieur le Directeur, de vous en donner la raison.
J'espérais, depuis près de quatre and que je suis attaché à l'Observatoire, n'ayant que 90 fr. de traitement [mensuel], recevoir une augmentation au commencement de l'année, et j'ai été étrangement surpris de subir au contraire une diminution sans que l'on m'en ait donné la cause, et cela m'avait découragé.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, de considérer que j'ai toujours travaillé en vue d'acquérir une position sérieuse dans la science, et qu'une réponse défavorable de votre part briserait d'un seul coup cet avenir que j'ai fait mes efforts de préparer jusqu'ici; je vous prie de considérer que cette demande vous est plutôt adressée par ma famille que par moi-même, et j'espère que vous voudrez bien croire à la sincérité de mes paroles.
J'attends avec la plus vive anxiété, Monsieur le Directeur, la réponse qui décide de mon sort.

C. Flammarion"
J'ai trouvé cette lettre dans la jolie biographie que James Lequeux consacre à Le Verrier (2009, EDP Sciences, 416 pages, une foule d'annexes). Bon, c'est quand même un peu spécialisé et l'astronomie ça n'est pas trop mon truc. Mais j'aime bien le 19ème siècle et les personnages unanimement détestés, et un livre avec un sous-titre pareil, comment resister... "Savant magnifique et détesté", la classe.

Mais pourquoi Flammarion s'est-il fait virer? Cela n'est pas très clair, mais il semble que ce ne soit pas pour une histoire de correction d'épreuves. Non, Camille Flammarion a été engagé probablement parce qu'il a impressionné ses employeurs par son enthousiasme et ses vastes connaissances astronomiques. Il se retrouve donc à l'Observatoire de Paris, avec toutes les cartes en main pour entamer une brillante carrière de scientifique. Et qu'est-ce qu'il fait? Il emploie tout son temps à écrire un livre parfaitement irrationnel qu'il n'hésite pas à faire publier, au nez et à la barbe des prestigieux scientifiques qui lui ont rendu le service de le laisser traîner parmi eux. Ce livre, c'est La pluralité des mondes habités, une oeuvre absolument désopilante dont je suis l'heureux propriétaire d'une édition de 1874. J'ai une certaine tendresse pour Flammarion, je lui ai même réservé un petit coin de ma bibliothèque qui autrement est totalement désorganisée:


Quelques oeuvres immortelles de Flammarion, dans ma bibliothèque super bien organisée (de gauche à droite): Fantômes et sciences d'observation (truc posthume réédité par JMG Editions); La mort et son mystère (en 3 volumes, une fierté personnelle); La pluralité des mondes habités (une jolie édition); Les maisons hantées (chez Flammarion, dans l'hilarante collection L'Aventure mystérieuse, J'ai lu)

Vous l'aurez compris, Flammarion croit en absolument tout et n'importe quoi, et n'hésite jamais à soutenir les témoignages les plus invraisemblables avec un aplomb qui ne peut susciter que de l'admiration (titre du chapitre 1 de Fantômes et sciences d'observations: "Fantômes incontestablement vus: témoignages inattaquables", on se demande bien pourquoi il y a d'autres chapitres... Ah oui, tout de même, chapitre 10: "Fantômes douteux" J'adore ce type). Voici ce que le brillant parapsychologue-astronome rapporte de la triste histoire de son éviction de l'Observatoire dans ses mémoires, où il profite de fanfaronner sans reproduire un mot de ses pleurnicheries ci-dessus. C'est dans Mémoires d'un astronome (p.210), gracieusement téléchargeable sur l'excellent site L'Encyclopédie Spirite que j'ai découvert récemment:
"Je n'ai pas encore dit que M. Le Verrier avait le caractère le plus épouvantable qui se puisse imaginer. Hautain, dédaigneux, intraitable, cet autocrate considérait tous les fonctionnaires de l'observatoire comme des esclaves. Il était très détesté. Le jour de son arrivée à l'Observatoire de Paris, le 5 février 1854, nommé par décret de l'empereur à la succession d'Arago, tous les anciens fonctionnaires s'enfuirent, sans exception. Il ne resta personne!"
Et voici ce que soit-disant Le Verrier lui aurait dit le jour fatidique:
"Je vois; monsieur, que vous ne tenez pas à rester ici. Rien n'est plus simple, vous pouvez vous retirer". J'avais cessé de plaire; tout ce que je faisais était mauvais; mes idées étaient fausses ; je n'étais pas un élève-astronome, mais un élève-poète. Quand on veut tuer son chien, on déclare qu'il est malade."
Oui oui, un élève-poète, le regard perdu dans les étoiles, sondant les infinis mystères du cosmos. Ou peut-être un charlatan qui écrit des pamphlets antiscientifiques pendant ses heures de boulot de... scientifique?
"En m'obligeant à quitter l'Observatoire pour ne plus subir d'interminables tracasseries, M. Lc Verrier brisait ma carriére, comme on casse un verre, sans le moindre scrupule. Jaloux de toute indépendance et de toute initiative personnelle, il était accoutumé à régner seul et à tout écraser. Mais pour moi l'événement était grave et arrivait mal à propos. Je ne suis pas méchant, et l'on assure que j'ai très bon caractère. Cependant, en partant, je fis un serment, comme autrefois les Romains, nos aïeux, le serment de me venger : "IL ME FAIT PARTIR, IL PARTIRA!"
Ce serment, je l'ai tenu, comme on le verra dans la suite. Nous parlerons plus loin de la révocation de Le Verrier. Elle a été retentissante. Celui qui sème le vent récolte la tempête."
Très impressionant. Le Verrier s'est effectivement fait virer, mais à ma connaissance Flammarion n'a rien à voir avec ça. Simplement, le boss était tellement insupportable qu'une fronde s'est levée contre lui, et en gros tout le monde à l'Observatoire refusait de travailler tant que le vieux salopard ne se ferait pas éjecter.

Aller, assez pour aujourd'hui. Je vous tiendrai au courant des mésaventures de mon gentil gogo favori dans des futurs posts (notamment son hilarant discours d'intronisation comme président de la Society for Psychical Research, qui vaut bien son pesant de Poltergeists).

Sur Flammarion, voir aussi: Patrick Fuentès (2002). Camille Flammarion et les forces naturelles inconnues. In Bensaude-Vincent B. & Blondel C. (eds.) Des savants face à l'occulte: 1870-1940. Paris: La Découverte, pp. 105-123.

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